Plaidoyer en faveur de l’après Covid-19

I. Doit-on envier le monde d’hier ?

Je suis de ceux qui pense que « l’avocat » n’est pas un militant, même si je dois déplaire à l’immense Henri LECLERC en l’affirmant.

L’avocat ne défend pas une cause, il défend un homme ou une femme.

J’entends les cris d’indignation contre les ordonnances prises par le gouvernement pour adapter l’institution judiciaire à la crise sanitaire.

Bien sûr que nous devons veiller à ce que des règles d’adaptation provisoires ne masquent pas un changement pérenne du système judiciaire.

Bien sûr que nous avocats, devons être le rempart contre des mesures, qui sous couvert de l’urgence, altèreraient l’indépendance des juges, le respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, les droits de la défense qui comprennent aussi, ne l’oublions pas, les droits des victimes.

Cette inquiétude doit-elle pour autant nous conduire à ce fatalisme pessimiste et menaçant, qui déplore l’évolution du monde et préfère l’immobilisme d’une situation imparfaite, à l’opportunité (osons le mot) d’accélérer une réforme judiciaire indispensable, que peut constituer la crise sanitaire ?

La justice, comme l’économie, préfèrerait-elle revenir au monde « normal », celui « d’avant » ?

Ce que nous vivons ne devrait-il être qu’une parenthèse ?

II. Méfiez-vous de « l’air du temps »

« Ceux qui n’ont pas la force de suivre ont la prétention de retarder » disait déjà TALLEYRAND à la fin du 18ème siècle !

Au-delà des combats pour les principes, que nous devons mener dans l’espoir de les gagner, il nous appartient, en qualité d’avocat, sans attendre les réformes que l’on espère, et pour chaque cause que nous acceptons de défendre, de trouver malgré les vicissitudes des nouvelles règles que l’État nous impose, les meilleures solutions.

Quelle chance, en fin de compte, d’être avocat en 2020… pour ceux d’entre nous qui sauront faire preuve d’imagination et qui n’ont pas choisi ce métier pour le confort qu’autrefois, il y a longtemps, il procurait à ceux qui l’exerçaient.

Tout n’est pas bon dans la justice de crise mais tout n’est pas mauvais…

La remise en liberté entre le 8 mars et le 28 avril 2020 de plus de 12.000 personnes, motivée par la seule crise sanitaire, sans demande et sans débat, doit nous conduire à réfléchir sur le rôle de la prison et le sens de la peine.

Le choix dans une multitude de procédures du recours au contrôle judiciaire plutôt qu’à la détention provisoire, qui aurait probablement été ordonnée en l’absence de Covid-19, a redonné sens à ce que l’actuel Code de procédure pénale prévoit : la détention provisoire doit rester exceptionnelle.

Même observation pour le nombre et la durée des gardes à vue : saura-t-on un jour combien de suspects ont été privés de liberté dans le cadre d’une garde à vue pour quelques heures seulement, alors que sans doute, sans le Covid-19 leur garde à vue aurait duré près de 48 heures ?

Pourquoi, n’était-il pas possible jusqu’à présent d’entreprendre des démarches essentielles aux droits de la défense par voie électronique ?

Est-il nécessaire d’imposer aux avocats d’aller inscrire des demandes d’actes au greffe de la juridiction d’instruction sans leur permettre de le faire par courriel ?

N’est-il pas temps d’autoriser la consultation des dossiers pénaux par voie électronique sécurisée ?

N’existe-t-il pas déjà des barèmes indicatif d’indemnisation ? Datajust, dont le décret portant le projet est paru presque secrètement pendant le Covid-19, est-il en tous points contraire aux intérêts du justiciable (transparence, uniformisation, …) Datajust n’est-il pas un outil au service de l’avocat d’aujourd’hui qui doit repenser son activité et redéfinir sa plus-value ?

Si l’oralité des débats est essentielle en matière pénale, doit-elle rester un dogme en matière civile ?

Le temps qu’on libère en supprimant des audiences n’est pas du temps perdu, mais du temps gagné si on l’affecte à des contentieux où la vérité peut naître de la parole.

III. L’évolution de la profession d’avocat, un si beau challenge

Même les pires projets ne doivent pas nous effrayer.

Bien sûr l’instauration progressive des « cours criminelles », véritable suppression des cours d’assises pour une grande quantité de crimes, doit être combattue.

Mais, les avocats doivent réfléchir et être prêts pour adapter, une fois encore, leurs méthodes et leurs techniques aux nouvelles juridictions.

L’éloquence (à qui l’on a tordu le cou il y a bien longtemps !) n’a cessé d’évoluer.

Préférons la résilience à la seule indignation.

L’avocature est un métier qui doit évoluer, la justice est une institution qui doit s’adapter.

Et pour paraphraser la poétesse, plaidons comme elle aime, « aujourd’hui mieux qu’hier et moins bien que demain ».

Le 25 mai 2020

#pénal

Jean-Philippe ROMAN

Jean-Philippe ROMAN

Avocat associé

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